Carte blanche: abandonnés à leur sort dans les rues de Bruxelles, les demandeurs d’asile palestiniens sont au bord du gouffre. Un accueil digne, ici et maintenant. (Le Soir)

Depuis quelques mois, plusieurs équipes mobiles, centres de soin de premières lignes, urgences générales et psychiatriques s’inquiètent de la dégradation rapide de la santé mentale de nombreux demandeurs d’asile palestiniens, victimes de la guerre, de la politique migratoire européenne et des insuffisances du réseau d’accueil en Belgique.

Afin de conscientiser l’opinion publique et les décideurs politiques, une dizaine d’associations de terrains et de fédérations ont co-signé une carte blanche, publiée dans Le Soir le 16 mai 2024.

J’ai perdu une grande partie de ma famille suite au bombardement de ma maison à Gaza. J’ai fui le pays, me heurtant à de nombreuses situations de violence sur la route de l’exil. Ma situation sociale est compliquée à Bruxelles. Je suis très inquiet pour ma famille qui tente de survivre à Gaza. J’espère que la Belgique va aider à les sauver. Je n’ai pas de mots pour décrire mon vécu et celui de mon pays dans cette situation extrême.

M. –

Les témoignages de Palestiniens meurtris par le drame en cours à Gaza affluent. Hélas, il semblerait que cette détresse immense n’ait d’égale que la surdité des décideur·euses politiques belges. Que devront encore subir les Palestiniens en demande de protection internationale pour espérer des réponses à la hauteur des enjeux humanitaires ? Les traumatismes dans leur pays d’origine et sur le chemin de l’exil, la culpabilité du survivant, le sentiment d’impuissance envers leurs proches restés à Gaza, la précarité de leur situation à Bruxelles… rien ne leur est épargné.

Depuis de longs mois, la politique de non-accueil des demandeur·euses d’asile impose des conséquences désastreuses aux milliers d’hommes contraints de dormir en rue, en squat ou dans des lieux indignes. Malgré le travail sans relâche des équipes de terrain, la situation se dégrade. Depuis plusieurs semaines, la détérioration de la santé mentale des Palestiniens nous préoccupe plus singulièrement. Pour eux, l’attente, l’injustice et l’errance deviennent insupportables. Leur demande est pourtant simple: être hébergés dans des conditions dignes et humaines, telles que prévues par la loi belge.

Aujourd’hui, les professionnel·les de la santé bruxellois·es tirent la sonnette d’alarme : nous faisons face à une crise sanitaire concernant la santé mentale, vis-à-vis de laquelle nous sommes démuni·es. Le constat récurrent d‘absence de solutions entraîne la colère et l’épuisement des travailleur·euses qui accompagnent ces personnes au quotidien.

Voici une liste non-exhaustive des constats du terrain :

  • L’absence de places dans le réseau Fedasil, et le désespoir face à une situation où la Cour Internationale de Justice voyait, fin janvier, un “risque plausible de génocide”, provoquent chez de nombreux Palestiniens un état de stress aigu majeur, avec des comportements suicidaires.
  • Le quota journalier d’entrées dans le réseau Fedasil ne cessant de diminuer (5 hommes par jour), le temps passé à la rue augmente, avec un impact visible sur l’état de santé physique et mentale des personnes ;
  • Faute d’hébergement, de nombreux Palestiniens trouvent refuge en squat : plus de 150 d’entre eux y séjournent, 130 autres attendent une place, via une liste d’attente… De nombreux squats sont accompagnés par des bénévoles ne disposant d’aucune ressource, ni expertise psycho-médico-sociale ;
  • Le personnel médical constate un recours abusif aux examens médicaux dans l’espoir d’obtenir une place d’accueil, grâce au dépistage souhaité (!) d’un problème de santé majeur ;
  • Les services psychiatriques, dont les urgences de St-Pierre et de Brugmann sont débordés par les demandes quotidiennes de prise en charge ;
  • De plus en plus de problèmes d’addiction (anxiolytiques, drogues…) sont constatés

parmi ce public qui tente de pallier le manque de soutien psychologique ;

  • De nombreux obstacles, comme la saturation des dispositifs de santé mentale et d’addictologie en région bruxelloise, rendent impossible la prise en charge de ces personnes ;
  • L’accompagnement de ce public est à ce point lourd et traumatisant pour les travailleur·euses de terrain que plusieurs présentent des symptômes de burn-out.

Nous appelons les autorités belges à considérer cette crise relevant de la santé publique, et à y apporter les réponses nécessaires. Il s’agit d’une responsabilité collective, appelant à sortir d’une logique de division des compétences et de territoire.

Nous demandons de considérer urgemment les pistes suivantes :

  • Mettre un terme à la politique de non accueil et assurer le respect de la loi accueil, en considérant les solutions avancées à de nombreuses reprises par les opérateurs de terrain bruxellois ;
  • Accélérer le flux des invitations pour les hommes isolés sur la liste d’attente, notamment pour les personnes les plus vulnérables avec une attention portée sur la perversité du système poussant les DPI à mettre leur vie en péril dans l’espoir d’être accueillis ;
  • Enjoindre aux instances d’asile d’accélérer le traitement des dossiers des DPI palestiniens, au vu des massacres en cours à Gaza ;
  • Proposer des solutions d’alimentation pour les milliers de demandeur·euses de protection internationale (DPI) privé·es d’accueil et de leurs droits fondamentaux pourtant garantis par la loi;
  • Renforcer les équipes mobiles de Fedasil, afin qu’elles puissent assumer pleinement leurs missions, dans les squats notamment, avec le support de médiateur·rices interculturel·les ;
  • Prévoir une prise en charge financière pour l’accompagnement psychologique de ces groupes ;
  • Faciliter la formation de personnes spécialisées en prise en charge psychologique liée aux traumatismes de guerre ;

Il est indispensable de mettre en oeuvre des solutions pour éviter des drames humains. Si nous évoquons la situation spécifique des DPI palestiniens, c’est la dégradation de l’état de santé psychique de l’ensemble des DPI abandonné·es à leur sort qui est préoccupante. Ce que nous avons réussi avec le modèle d’accueil des réfugié·es d’Ukraine, nous devons le réussir avec l’ensemble des réfugié·es ! Dans “Etat de Siège”, le poète Mahmoud Darwich disait : Nous avons un objectif commun : exister… Puisse cette voix être enfin entendue.

Je vis en Belgique depuis 2013. J’ai grandi à Gaza jusqu’à mes 24 ans. Ici, j’ai appris le français, suivi des formations, obtenu des équivalences de diplômes, travaillé comme infirmier en maison de repos et comme volontaire dans des squats. J’ai intégré l’Équipe Mobile Cover et le Projet Lama. Aujourd’hui, je souffre d’être obnubilé par la guerre et l’angoisse de la perte de mes proches à Gaza. Je viens de perdre ma jeune sœur de 22ans . Dans nos derniers échanges, elle disait vouloir quitter Gaza, bombardée de jour et de nuit, d’où même les oiseaux sont partis. Je ne lui avais pas répondu, car je n’avais pas de solution pour elle.

A. –

Signataires (par ordre alphabétique):

Artha

AWSA-Be (Arab Women’s Solidarity Association-Belgium)

Association des Femmes Palestiniennes de Belgique

Belrefugees

CASAF ASBL Petits Riens

CIRÉ

CoVer

DIOGENE vzw – asbl

Dispensaire Sociale/ Sociale Verpleegpost

DoucheFLUX

Féda Bxl – Fédération bruxelloise des institutions spécialisées
en matière de drogues et addictions

Fédération des maisons médicales

Fédération des services sociaux

Plateforme bruxelloise pour la santé mentale

Projet Lama

New Samusocial

W HOPE ASBL