Mémorandum FSPST 2024 – Secteur addiction

Pour une revalidation inclusive, agile et ouverte

La question des drogues et des addictions est aujourd’hui au centre des préoccupations sociétales, tant dans le débat public qu’au sein du secteur psycho-médico-social.

La prise en charge de ce public vulnérable met le champ bruxellois des drogues et addictions face à de nombreux défis :

  • Une précarité économique, administrative et sociale de plus en plus importante de nos patients. Nous faisons notamment face à une part croissante de personnes dites « non-mutuellistes ». Le dernier rapport de l’observatoire de la santé et  du social  estime entre 50.000 et 100.000 le nombre de personnes sans titre de séjour à Bruxelles, dont 10,8% seulement ont recours à une aide médicale urgente1.
  • Une évolution permanente des usages de drogues dans la société avec l’augmentation importante ces dernières années de la consommation de cocaïne (et de sa forme basée, le crack), de nouvelles drogues de synthèses et de médicaments sédatifs2. Un rapport récent de Sciensano met également en garde contre l’émergence probable du fentanyl sur le marché européen de la drogue3.
  • Les problèmes de santé associés à l’usage de drogues sont multiples et complexes. Les troubles sévères de la santé mentale sont très fréquents, touchant plus de 40% des patients dans certains centres de revalidation addictologiques2. Les demandes de prises en charge psychiatriques, en augmentation, mettent sous pression les structures de soins existantes au sein du réseau.
  • La proportion grandissante d’un public féminin parmi les usagers de drogues alors que les femmes sont moins nombreuses à recourir aux services spécialisés. Elles représentent un quart de la population consommatrice en Europe mais seulement un cinquième des files actives des institutions de soin en addictologie4.
  • Le constat de freins dans l’accomplissement des missions de la revalidation en raison de difficultés pour un grand nombre de patients à accéder à (ou à garder) un logement et au monde de l’emploi. Les barrières d’accès à ces déterminants sociaux de santé sont à intégrer dans la prise en charge des institutions de soin.
  • Récemment, plusieurs projets mobiles, d’hébergement d’urgence « spécialisés », et de réduction des risques ont vu le jour. Ce renforcement du travail d’urgence et de proximité engendre également une augmentation de la demande de soin. La saturation constante du réseau et l’absence de révision des moyens alloués au secteur du soin addictologique ne permettent pas aux structures de soins de répondre à la demande croissante de ce public.
  • Nous observons par ailleurs qu’un nouvel item “addictions” a pris place sur le site internet d’Iriscare. Nous sommes satisfaits de cette initiative, qui témoigne de la prise de conscience des autorités publiques quant à l’importance de cette problématique de santé actuelle. Toutefois, nous déplorons la scission qui est faite entre centres de rééducation fonctionnelle spécialisés et ceux actifs en matière de réduction des risques ou tabagisme. L’addiction (contrairement au terme d’usage de drogue) est une pathologie complexe, sous tendue par des atteintes neuro-psychiques, qui se manifeste par une dépendance physique et/ou psychologique au produit. La personne qui en souffre nécessite des soins intégrant les dimensions médicales, psychologiques et sociales. En effet, il s’agit d’un problème de santé complexe et souvent chronique, et l’absence de nos services de soin spécialisés en addictologie au sein de cette nouvelle catégorie d’Iriscare nous interpelle.

Il nous semblerait aujourd’hui pertinent, dans une visée de santé publique et de continuum de soins, que nos centres actifs en addictologie soient pleinement intégrés dans cette “nouvelle” catégorie.

Partant de ces différents constats, nous plaidons en faveur de réformes significatives visant à adapter les services de revalidation afin de répondre aux défis contemporains posés par la question des drogues et des addictions qui traversent notre société. Ces réformes permettront une meilleure prise en charge des personnes et contribueront à une amélioration globale de la santé publique.

En fonction des besoins spécifiques de chaque convention, nous proposons :

  1. Garantir en Région Bruxelloise l’accès à une revalidation inclusive pour l’ensemble des usagers de drogues quel que soit leur statut administratif ou de séjour.
  2. Augmenter la flexibilité des conventions de revalidation, et valoriser l’adaptation de la réponse aux nouveaux produits / publics ainsi que la configuration des dispositifs en fonction des besoins.
  3. Promouvoir et financer les collaborations entre les services d’études (Observatoire de la santé et du social, Eurotox, Sciensano, etc) et les conventions de revalidation afin de mener des études communes.
  4. Au départ d’une cartographie de la situation actuelle, diversifier et développer l’offre afin de créer un continuum de soin cohérent, qui suive l’évolution de la demande, notamment en matière de logements adaptés d’insertion (type IHP).
  5. Adapter les conventions de revalidation afin de couvrir les coûts de l’ensemble des obligations légales actuelles (informatique, DPI, DPO) le coût de la vie (alimentation, défis énergétiques, etc.), ainsi que l’intégration de nouvelles fonctions essentielles à l’adaptation des structures de soins aux enjeux actuels (pair-aidants, médiateurs interculturels, support administratif).
  6. Adapter le financement pour permettre l’engagement de personnel formé à la santé mentale (Médecin psychiatre, infirmiers spécialisés en santé mentale et psychiatrie, pairs-aidants…)
  7. Avoir un secteur modernisé et performant sur le plan du DPI et des solutions de e-santé, tout en étant centré sur l’humain.
  8. Maintenir une qualité des soins par une formation professionnelle permanente qui tende à construire une filière d’excellence
  9. Ouvrir le champ thérapeutique en y incluant les stratégies de promotion de la santé, de l’insertion socio-professionnelle, de la réduction des risques et du rétablissement au cœur de la revalidation.
  10. Promouvoir une approche intégrée assurant un continuum entre les services, les soins et le parcours de l’usager, en valorisant la collaboration et la concertation entre les différents intervenants, plaçant le patient au centre de sa prise en charge.
  11. Permettre de continuer la prise en charge de patients provenant d’autres régions ou étant pris en charge dans d’autres régions (mobilité interrégionale).

Nous sommes convaincus que les enjeux de santé actuels exigent une approche collaborative et concertée pour répondre efficacement aux défis posés par les problématiques d’addictions.

En tant que partenaires de soins engagés, nous sommes déterminés et engagés à participer activement à ce processus de réforme, en mettant l’accent sur la collaboration, la coordination et le partage des meilleures pratiques afin d’améliorer l’accès des soins aux personnes souffrant d’addiction, avec des perspectives concrètes de rétablissement.

1. Baromètre social 2023 | Vivalis https://www.vivalis.brussels/fr/publication/barometre-social-2023.

2. BELSPO, Etude SUMHIT 2024

3. The drug situation in Belgium in 2022. Annual report from the Belgian REITOX network. sciensano.be

 https://www.sciensano.be/fr/biblio/drug-situation-belgium-2022-annual-report-belgian-reitox-network (2024).

4. Sciensano. Rapport de la réunion d’experts sur les conséquences de l’interdiction de production d’opium en Afghanistan (in press). (2024).

5. FEDA BXL. Femmes, genre et assuétudes – Synthèse des constats de terrain et recommandations. (2023).