Crack à Bruxelles : mieux comprendre la crise actuelle et ses défis socio-politiques (3/4)

Durant quelques semaines, nous vont proposons une série de 4 articles sur le crack à Bruxelles.

Dans le premier article, nous avons exploré les origines du crack, l’ampleur du phénomène et ses liens avec la précarité urbaine. En deuxième semaine, il était question des effets de la cocaïne fumée et de ses risques physiques, mentaux et sociaux. Enfin, nous évoquerons dans un dernier article les pistes de solutions à mettre en œuvre pour envisager une meilleure prise en charge sociétale de la situation.

Dans cet avant-dernier article, nous aborderons des réponses actuelles mises en place en Belgique et à Bruxelles au phénomène d’usage de crack. Bonne lecture!

Les réponses actuelles au crack

Les réponses socio-sanitaires

Le paysage socio-sanitaire bruxellois est riche, varié, mais relativement peu coordonné (voir notre article sur les dispositifs drogues et addiction à Bruxelles). Les usagers de drogues en grande précarité sont généralement pris en charge par des institutions dites à « bas-seuil » d’accès. C’est la porte d’entrée la plus simple vers les soins, car ces institutions sont organisées pour réduire les barrières d’accès au système de santé.

Historiquement, ces services ont vu le jour dans un contexte où l’héroïne était la drogue la plus utilisée par le public précaire à Bruxelles. Dès les années 1980, la méthadone, puis plus tard la buprénorphine, ont permis la mise en place de prises en charge basées sur un traitement de substitution.

Aujourd’hui, le crack a peu à peu remplacé l’héroïne, et l’absence d’un traitement de substitution reconnu est un défi pour les services. Le nombre limité de places dans les services d’hébergements d’urgence, ainsi que le cadre d’accueil souvent trop contraignant pour les usagers actifs (pas de consommation) sont des facteurs qui compliquent la stabilisation psychique et physique des patients.

Evolution des demandes de soins : à gauche, substance problématique héroïne, à droite substance problématique crack. En pointillés, les donnés pour la Région Bruxelles Capitale (Sources: Sciensano, TDI)

Une hospitalisation de cure est possible dans plusieurs unités psychiatriques, mais les rechutes sont quasiment systématiques.

Plusieurs équipes mobiles, comme le projet SubLink, ont vu le jour ces dernières années. Le travail de terrain a permis l’accompagnement de nombreuses personnes, mais les perspectives limitées que rencontrent professionnels et usagers sont un frein au parcours de rétablissement.

Depuis 2022, une salle de consommation à moindre risque (Gate) a ouvert ses portes près de Lemonnier. Le crack représente 84% des produits qui y sont consommés. Ce dispositif de réduction des risques a permis d’éviter de nombreuses consommations dans l’espace public, une réduction des risques d’infection et de surdosage. Les usagers ont également pu y formuler des demandes de soins et être accompagnés, à partir de la SCMR, vers les différentes structures ambulatoires ou hospitalières à Bruxelles.

La faible mobilité des usagers, les aspects compulsifs de la consommation, l’absence de traitement de substitution et la limitation des offres intégrées offrant des solutions adaptées au sans-abrisme associé au crack, restent cependant des défis de taille dans la perspective d’une prise en charge socio-sanitaire du phénomène à Bruxelles.

Les réponses sécuritaires de proximité

Le phénomène d’usage de crack dans l’espace public à Bruxelles s’accompagne d’une augmentation de la violence liée au trafic de drogue. Le nombre de fusillades survenues dans la capitale a en effet augmenté depuis 20221. Si face à cette violence accrue, les usagers de crack sont plus « en danger » que dangereux, l’amalgame est fait. La présence du « cracker » gène, inquiète.

Devant la hausse du sentiment d’insécurité (et une certaine récupération politique) et par crainte de voir la situation s’aggraver davantage, les autorités publiques bruxelloises ont réagi en mettant en place 15 « hotspots ». Dans ces espaces urbains, la vente et la consommation d’alcool sont interdites, des contrôles d’identité systématiques avec fouille sont possibles, et les agents de polices pourront confisquer tout objet dangereux ou destiné à faciliter la consommation de drogues (ceci inclut les pipes à crack, pourtant censées lutter contre la contamination au HCV et HIV). En outre, le protoxyde d’azote (gaz hilarant) devient au même moment interdit sur tout le territoire de la Région Bruxelles Capitale.

Plusieurs mois après la mise en place des hotspots, la situation semble s’être légèrement améliorer dans certains quartiers, comme au Square Jacques Franck. Elle a eu cependant une série d’effets négatifs sur les usagers et les professionnels qui les accompagnaient.

La conséquence principale a été l’augmentation de la judiciarisation des usagers de drogues qui fréquentent ces espaces publics, et qui n’ont généralement aucun autre lieu de vie. Les usagers de drogues en situation de sans-abrisme, bien que représentant la minorité des usagers de drogue en Belgique et à Bruxelles, sont contrôlés plus fréquemment que ceux ayant un meilleur statut socio-économique et qui se font livrer à domicile. On a effectivement observé une « pénalisation » plus importante de cette population, engendrant plus de peine d’emprisonnements et ainsi encore plus de rupture dans le parcours d’aide et de soins.

L’autre conséquence a été le déplacement de certains points de deal à d’autres endroits de Bruxelles (comme à Anderlecht) et l’invisibilisation des scènes de consommation. Certaines personnes ont alors perdu contacts avec les équipes mobiles, arrêté de fréquenter les lieux d’accueils, la SCMR de Gate, ou les services médico-psycho-sociaux bas-seuil.

Lutte contre le trafic international

En 2023, un nouveau poste de « commissaire nationale aux drogues » a été créé et attribué à Ine Van Wymersch, avocate et procureure du Roi de Hal-Vilvorde. Son but, mieux coordonner la lutte contre la grande criminalité liée au trafic de stupéfiants. Le trafic international de cocaïne est coordonné par de grosses organisations criminelles.

La lutte contre ces organisations est multifocale, et nécessite probablement de nombreux ajustements : techniques et humains pour améliorer les contrôles douaniers, légaux et judiciaires pour permettre de s’attaquer plus facilement au blanchiment d’argent, policier pour améliorer les enquêtes, augmenter une présence dans l’espace public, etc. La tâche est titanesque, mais les efforts des autorités montrent certains résultats encourageants.

En 2024, les saisies de cocaïne au port d’Anvers ont diminué pour la première fois en 10 ans2. Une baisse similaire est observée dans le port de Rotterdam. S’il faut rester prudent sur l’interprétation de ces résultats, cela pourrait être néanmoins le signe d’une modification des voies d’acheminement de la cocaïne en Europe. La mise en place de 5 scanners mobiles dans le port d’Anvers, permettant une meilleure inspection des conteneurs, ont certainement eu un impact. Pour contourner ces contrôles, le « drop-off » (largage de la marchandise dans la mer et récupération par de petits bateaux) qui serait désormais de plus en plus privilégié par les trafiquants, mais cette méthode ne permet pas de déplacer de grandes quantités.

Sources :

1.           Ringelheim, S. Tirs mortels à Aumale, 89e fusillade à Bruxelles en 2024. BX1 https://bx1.be/categories/news/les-tirs-mortels-a-aumale-sont-la-89e-fusillade-a-bruxelles-en-2024/ (2024).

2.           SPF Finances (Communiqué de Presse). Moins de cocaïne saisie dans le port d’Anvers, plus de saisies en Amérique Latine. (2025).